Ma première visite

Par Monique Pagé

Je sais qu’Ahuntsic est un quartier situé au nord de l’ile de Montréal. C’est tout!

À ma décharge, sachez que je viens du sud. En fait de la Rive-Sud, précisément de la Montérégie. Vous comprendrez que j’ai horreur des bouchons de circulation, des concerts de sirènes ou de pétarades d’avertisseurs. J’évite la ville qui pourrait même manquer de stationnements libres le jour où j’irais!

Il est grand temps de remédier à ma méconnaissance de la métropole. J’avais prévu, en 2021, remonter le Nil, je remonterai les abords de la rivière des Prairies.

Je stationne sur une rue transversale au boulevard Gouin entre le parc Nicolas-Viel et le parc Ahuntsic. Les terrains sont arborés, les passants peu nombreux, il règne une atmosphère de village.

Je longe Grande-Allée et reviens sur mes pas par une rue parallèle – j’avais oublié ma gourde d’eau – puis repars par la même voie.

Croyez-moi, faire les cent pas peut être enrichissant. Des terrepleins ajoutent leur verdure à celle des parterres fleuris. Ici et là, j’admire les aménagements de roches et de bosquets fleuris agréablement disposés. Sur certains tout petits terrains, il règne même une ambiance asiatique : trois roches et quelques plantes sur une nappe de sable.

Virage à gauche sur Prieur, je me dirige vers le… Monique_ParcAhuntsic

Je ne m’attendais pas à si peu de klaxons ou de grondements de moteurs sur Lajeunesse, limite ouest du parc. À tant de calme! Les quelques cônes orange à l’entrée du parc seraient-ils destinés à ralentir les ardeurs?

Le freinage d’un véhicule lourd me fait tourner la tête. Rien de particulier à signaler sinon la gare d’autobus. Sur le trottoir, un groupe de chauffeurs de taxi jasent en créole en attendant les clients. Des bruits de pas croisent les miens : un mélange de frottements et de claquements assourdis. Je salue une dame dont le froissement de la robe s’apparente à celui du vent dans les feuilles.

Peu de décibels dans cette ville ! Je n’ai pourtant pas perdu l’audition, mais je renonce peu à peu mes préjugés dans cet espace convivial entre rues et boulevard urbains.

Monique_allée

Les membres de bulles familiales jasent entre eux, je ne discerne pas les mots, mais je perçois l’amabilité dans le ton. Des groupuscules adolescents s’asticotent de gestes amicaux, encore là c’est le ton rieur qui prend le dessus. Je n’ai pas besoin de comprendre les paroles. Des enfants bien entourés grimpent, se balancent ou courent dans un sens ou dans l’autre. Ils lancent de petits cris aigus, ou se plaignent pour attirer l’attention des parents sur un coupable qui ne serait pas eux-mêmes.

Monique_Jeux

La tranquillité semble le thème de ce lundi d’été. Vers le côté est du parc, des athlètes, ou visiteurs en voie de l’être, dégagent volonté et énergie. Le chuintement de leur souffle s’accorde à la rougeur de leur visage et aux battements de pieds sur la terre battue par tant d’activités humaines au fil des ans. Plus loin, un groupe de jeunes hommes jouent en équipe. Il y a autant de clics entre les boules roulées que de mots prononcés. C’est du sérieux.

Je reviens sur les petits sentiers, je longe l’étang. Maintenant, des couples ou familles déambulent avec un repas ou un sac à piquenique à la recherche d’un coin tranquille. Je traverse une odeur de sauce épicée et sucrée, puis celle de poulet rôti et de frites que je devine déjà molles.

Je flâne moi aussi jusqu’à avoir un petit creux. Je me trouve un coin propre sur le bout d’un banc tacheté des restes de menus variés et de souillures blanchâtres, d’origine volatile sans aucun doute.

J’entends les murmures humains ponctués de cris joyeux, un rare klaxon, un rire expansif. Une feuille sèche tombe près de moi : l’aurai-je entendue si je ne l’avais vue? Il s’agit d’un si léger contact entre un limbe sec et herbes vivantes. Les ailes de deux goélands fouettent l’air autour de moi. Ils me font signe de leur laisser un pourboire. Ils raillent en lorgnant mes sushis. La brise reprend le dessus. Est-ce un souffle ou une plainte? N’est-ce pas plutôt le froissement des feuilles que j’entends? Le chuintement de l’air contre mes oreilles?

Les gens passent devant moi, j’attrape des mots et des accents, des expressions et des bouts de phrase en anglais, espagnol, créole, arabe, portugais et autres langages dont je n’ai pas idée du nom.

Dans ce parc de dix hectares se tissent un treillis de vies, un entrecroisement de langues et des liens avec le monde entier.

Monique_Filet


Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture géopoétique sur les parcs.

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