Par Colette Filion
Elle est inquiète, car voilà plus d’une journée que sa chatte n’a pas pointé le museau à la porte de la maison. Elle a un mauvais pressentiment, car c’est inhabituel pour Kisha de s’absenter de longues heures. Elle se dit qu’elle va sortir pour tenter de la retrouver.
Une fois dehors, elle réfléchit un moment sur où commencer ses recherches. Par les ruelles, bien sûr. C’est là que sa chatte aime flâner. Elle se rend tout d’abord dans la ruelle derrière son domicile. C’est une ruelle assez verte. Il y a beaucoup d’arbres et de fleurs et, ce que sa chatte préfère, des oiseaux en abondances. Elle la parcourt minutieusement, interroge les voisins qu’elle croise sur son chemin, mais personne ne l’a vue. Elle colle son oreille sur les portes de garage, espérant entendre un miaulement : rien. «Je ne dois pas me décourager», se dit-elle, «il y a encore de l’espoir. Elle doit être dans la ruelle près de l’école. Elle aime bien s’y rendre pour jouer avec le chat de madame Hamelin».
Elle s’y dirige en récitant une prière, car à mesure que le temps passe elle n’a plus beaucoup d’espoir de la retrouver. Cela fait six ans que Kisha habite avec elle et jamais elle n’a passé une journée sans donner signe de vie. Et chaque fois qu’elle revient chez elle, si sa chatte est dehors, elle court vers elle pour la saluer d’un doux ronronnement. C’est pour cette raison qu’elle sait qu’il lui est arrivé quelque chose. Tout ce qu’elle souhaite, c’est que cela ne soit pas grave.
Elle est arrivée à sa destination. Elle l’appelle, retient son souffle : rien. Et cette fois, elle est seule dans cette petite ruelle si verte. Seul le chant des oiseaux l’accompagne dans sa quête. Elle décide, le cœur lourd, de retourner chez elle.
Rendue presque à sa maison, une voisine l’interpelle : «Madame, excusez — moi… Je ne sais comment vous dire cela… votre chatte grise…», «oui, oui.» La coupe-t-elle, «vous l’avez vu?» «Oui, sous la marche de mon escalier… Je me suis penchée pour la caresser et me suis rendu compte, malheureusement, qu’elle était morte. Je l’ai déposé dans une boite. Venez, je vais vous la remettre.» Elle la suit les yeux pleins de larmes, espérant que la voisine se trompe et que ce n’est pas de sa chatte qu’il s’agit, mais hélas s’est bien la sienne. «Jamais plus elle ne viendra vers moi lorsque je rentrerai à la maison. Elle ne me réveillera plus la nuit pour que je la fasse sortir ou rentrer. Elle ne volera plus la viande dans mon assiette, ni ne se blottira près de moi les soirs froids d’hiver. Je n’entendrai plus ni ses miaulements ni ses doux ronronnements», pense-t-elle. Elle la regarde et d’une main un peu tremblante, la caresse une dernière fois et lui dit : «repose en paix et merci d’avoir partagé un moment ma vie.»
Ce texte a été écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture géopoétique sur les ruelles.
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